Dans cette image vous voyez le livret suisse de réfugié d’Émile Benveniste, un des plus important linguistes du XXe siècle. Benveniste a dû quitter la France, parce qu'il risquait d'être tué par les nazis durant la deuxième guerre mondiale. Après avoir traversé les montagnes avec les système des passeurs, grâce à l'aide et l'obstination du Père Jean de Menasce, juif converti au catholicisme et professeur à Fribourg, qui crée un comité de soutien composé par Charles Bally, Albert Sechehaye, Marcel Raymond et d'autres citoyens, après deux mois de camps de réfugiés entre Genève (qui refuse Benveniste), Lausanne, Büren, la ville de Fribourg accepte que Benveniste puisse vivre dans la ville en travaillant à la bibliothèque cantonale et universitaire. Durant l'année que Benveniste passe en Suisse à Fribourg, il rencontre plusieurs intellectuels et artistes réfugiés dans la même ville. Fribourg en fait a mené une politique d'accueil jusqu'à créer une vraie communauté scientifique. Les liens établit dans ces circonstances ont eu un impact sur la recherche scientifique. Après plusieurs années d'impossibilité à travailler, même avec beaucoup de limitations dues à son statut de réfugié et à la difficulté à se procurer les sources bibliographiques nécessaires, Benveniste recommence sa recherche et des échanges scientifiques (il est très connue son amitié avec le philologue italien Gianfranco Contini, son voisin à Fribourg).
Benveniste et la recherche scientifique, grâce à la solidarité entre scientifiques et la générosité des citoyens (comme la famille Esseiva qui l'héberge gratuitement à Fribourg), ont eu de la chance. Tous les chercheurs et les étudiants qui ont lu les livres que Benveniste écrira dans la suite (par exemple les Problèmes de linguistique générale I&II), le structuralisme, les études indo-européennes, ont eu de la chance. Mais l'histoire de Benveniste, également à celle de la recherche, est liée à la vie politique et sociale. Il faut oser imaginer ce qu'il serait arrivé si Benveniste aurait été refoulé et tué. Il faut imaginer, comme dans les films où il y a une machine qui fait voyager dans le temps, les volumes disparaitre des rayons des bibliothèques, les élèves de Benveniste faire autre chose et peut-être ne devenir pas des chercheurs, les étudiants quitter les salles de cours, la recherche devenir plus pauvre et imaginer des vides partout dans nos rayons et dans nos écrits et dans notre vie.
Plusieurs et plusieurs juifs n'ont pas eu cette chance et ils ont été refoulé à la frontière suisse et tués par les nazis. Dans ces jours encore une fois est le moment de la journée de la mémoire. En même temps, les mouvements fascistes et nazis reprennent courage et force partout en Europe et dans le monde. On empêche aux migrants qui s'échappent de la guerre de rentrer dans les pays et plusieurs centaines sont en train de mourir dans la Méditerranée pendant que les politiciens discutent aisément sur combien il faut en accepter et qui doit être sauvé. Tout d'abord je suis bien dégoûté. Après en regardant les images des migrants refoulés, déportés, en pensant à l'histoire de la recherche, je lève le regard sur ma bibliothèque et j'imagine qu'elle commence à se vider de plus en plus, un volume après l'autre. Je pense à ma mémoire qui devient de plus en plus vides jusqu'au moment qu'il ne reste plus rien, il ne restent que des discours vides - même pas une note en bas de page à lire et qui donne du sens à ces discours. Et je suis pris d'un vrai désespoir en pensant à nos vies qui deviennent de plus en plus pauvres et misérables chaque fois qu'un migrant est refusé, chaque fois qu'un bateau s'écoule et les gens continuent à mourir. Il ne faut pas oublier, il faut sauver les gens, il faut le faire tout de suite, immédiatement, sans attendre, autrement il n'y aura plus rien à lire et par conséquence il n'y aura plus rien à écrire. Et nos vies serons si incroyablement misérables, n'est-ce pas ?!
(article publié en janvier 2019 mais encore d'actualité malheureusement)
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