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Lire pour ne pas mourir

Le “publish or perish” dans l’académie est un argument débattu périodiquement sur les journaux. J’ai un sentiment de prise de distance et de recul face à ces articles. Je comprends qu’il s’agit d’un point d’entrée sur cette question complexe, mais j’ai la sensation qu’il faut remonter encore plus en amont puisque ces discours sont inscrits en fait dans une idéologie de la production. Les discours autour de ce système académique des publications et de leur emploi pour déterminer la valeur d’un chercheur et son aptitude à obtenir des bourses continuent à être inscrits dans ce même paradigme productif. Je suis peut-être naïf, mais j’ai le sentiment qu’il faut refuser totalement ce discours.


Je pense qu’il faudrait faire un pas en arrière et prendre ses distances vis-à-vis de ces affirmations, tant à cause de certains aspects non pris en compte, que par rapport à une question d’attitude inhérente à certains ‘mouvements de l’esprit’ et à certaines pratiques qui me semblent fondamentales et qui déterminent la possibilité même de produire un texte scientifique (et un texte en général). Pour commencer, on peut prendre comme exemple le lien entre lecture et écriture, ainsi que la nature de l’écriture elle-même.


De mon point de vue, forgé par mon expérience de l’Université, les institutions financées par les impôts des citoyens devraient payer les chercheurs pour lire, pas pour écrire. L’écriture est succédanée et devrait être utilisée en connexion avec l’activité de lecture. Écrire sert en fait à lire : c’est un instrument de lecture, comme en témoigne par exemple les références, les annotations, les fiches de lecture, les commentaires, les gloses.


L’autre raison pour payer les chercheurs est justement pour qu’ils puissent chercher, c’est-à-dire qu’ils fassent de la recherche pour la recherche. Dans ce cas aussi, le lien avec l’écriture persiste. Écrire, sert alors à chercher, c’est un instrument de la recherche : l’écriture de recherche est le mouvement sémiologique (faire sens à travers des signes) qui produit la découverte, qui met à plat les idées, elle est l’effort pour fixer celles-ci et pour trouver une cohérence ; elle est ce genre d’écriture qui sert à communiquer avec les autres résultats et points de vue, comme dans la correspondance scientifique ; elle est l’écriture pour partager et qui montre le rôle de l’adresseur(la communauté scientifique par exemple, mais aussi un seul correspondant, l’ami du poète dirait-on, la nature fondamentalement épistolaire de l’écriture).


Produire des articles à publier, donc, n’est pas le but de l’écriture. La seule chose qui est importante est seulement l’acte d’écrire en lui-même, en connexion avec l’activité de lecture et l’activité de recherche. Le fait de publier est accessoire et temporaire et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a des editor(encore une fois l’ami du poète) : pour arracher un morceau d’écriture et l’inscrire dans un instant, dans le cours du temps, momentané, quand l’écriture n’a pas de contraintes en elle-même, les contraintes sont extérieures et en tous cas contextuelles. Et même si ces contraintes aident à donner une forme à un texte – à sans cesse dépasser ses limites – et à arrêter le flux de la production sémiologique, elles doivent toujours épouser les paramètres de la recherche (validité, vérifiabilité des données).

Le but n’est pas vraiment de trouver quelque chose. Trouver est une conséquence de la lecture et de la recherche. Écrire pour trouver quelque chose limiterait déjà les possibilités de la découverte, car la découverte serait déjà présente dans les postulats qu’on utilise pour la visée de la recherche. En ce sens, j’ai toujours trouvé très étrange la section dans les formulaires des projets demandant d’anticiper les résultats de la recherche avant même que celle-ci ait commencé.


Je partage donc l’idée qu’il ne faut pas écrire pour publier. Je publie en premier lieu pour oublier et deuxièmement pour regarder ce que j’ai fait durant mon travail de lecture, de recherche et d’écriture, pour en regarder l’harmonie, pour voir si je me suis rapproché de cette harmonie espérée dans la recherche à travers l’écriture. Ce que j’ai publié sans cet esprit, je le considère comme un prix nécessaire à payer pour savoir ce qu’il ne faut pas faire. Et dans ce que j’ai publié et que j’ai aimé, je me méfie aussi de ce que j’ai écrit et de ce qu’il m’a semblé avoir accompli, étant donné que souvent mes textes semblent être faits par un autre qui n’est plus moi, qui ne savait pas ce que je sais maintenant, et j’essaie de vérifier si, avec le passage du temps et des lectures, je suis toujours d’accord avec ce que j’ai écrit, si j’aime encore ce que j’ai écrit, ce que cet autre moi a pensé écrire.


Mon attention est retenue aussi par la vie qui s’est écoulée durant l’écriture et par certains aspects de ces écritures que je n’arrive que difficilement à relire, et seulement à regarder et que j’essaie de faire résonner. Si je pense donc à mes publications, la meilleure chose me semble être un adverbe que j’ai utilisé dans un article publié. Je ne donne pas de la valeur au nombre de textes publiés et les découvertes qui, bien sûr, m’ont donné du plaisir, de la joie pour la découverte et faisaient du sens à l’époque. Je les regarde comme de vielles passions liées à la naïveté de ne pas savoir ce qui persistera dans le temps, de n’avoir pas d’idée de la durée.


La meilleure chose à regarder dans ces textes est cet adverbe, ce mot qui m’a donné à penser, que j’ai dû chercher longuement pour me faire voir aujourd’hui que toute la vie de la recherche est, pour moi, dans cet adverbe, dans le mouvement qu’il est toujours en train d’indiquer, dans ce passage d’un seuil et dans l’abandon des règles, dans le changement introduit dans un langage normalement utilisé dans des textes de ce genre et dans le surmontement des obstacles posés par l’histoire, la tradition, les préjugés, la discipline. Il me signale que je n’ai pas seulement changé avec les heures passées dans les bibliothèques – et changé à jamais -, pas seulement à cause de certains détails spécifiques liés à mon travail de recherche ou de moments difficiles que j’ai dû affronter (l’arrogance, la vie, vous savez de quoi je parle), mais aussi grâce à la recherche de cette écriture qui fait sens.


Cet adverbe là, dans ce texte-ci, me rappelle ce qui est différent en moi grâce à ce travail de recherche et d’écriture et pour quelle raison il y a eu sens à l’accomplir. Le reste est inutile, temporaire et, avant ou après, sans moi. C’est seulement avec cet abandon de la priorité de ma présence qu’il me semble faire partie d’une communauté de personnes qui sont en train de chercher, cette communauté dans laquelle si je dis que je suis en train d’écrire, je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails de ce qui signifie écrire ; si je dis que je suis en train d’écrire une thèse, on comprend tout de suite dans quel état d’esprit je suis. Une communauté transversale aux divers pays et aux disciplines, qui habite au cœur de la société et pas dans ses marges. Cette communauté qui connait la responsabilité et le poids de l’écriture, et qui ne vit pas pour elle-même, mais aussi pour les autres qui n’ont pas eu cette possibilité, la responsabilité de savoir, d’avoir lu, la possibilité d’avoir eu le temps de chercher.


Il faudra donc abandonner ce paradigme de production de publications ; dire clairement qu’on n’est pas intéressé par la publication, qu’il n’est pas nécessaire de publier pour rester dans le monde académique ou être accepté, avoir un poste, se voir financé un projet (même si l’idée de projet à déposer est également un autre chapitre des choses à refuser pour faire de la recherche). Il suffit d’être intéressé par la recherche en elle-même, au fait de chercher quelque chose, à la découverte, aux liens et aux interactions entre chercheurs, à la production d’une communauté de la recherche, à l’indépendance de la pensée. Ce n’est pas la liste des publications qui compte, il faut aller plus en profondeur selon moi et penser sur de longues périodes de temps, et penser en termes de collectivité, dans les termes de ce qui fait du sens sur une échelle de valeurs partagées. Pour faire partie de cette communauté de la recherche au sein de la société, il faudra alors avoir montré son courage et avoir l’aspiration d’être libres. Et pour être libres il faut souvent de l’abandon et du courage.

Courage, liberté, indépendance doivent être remis au centre du discours sur la recherche et de la recherche tout court.


(versione anglaise sur AllegraLab)



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