Tu te lèves le matin et t'as envie d'être ailleurs. Dans la cuisine Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina prépare le café. Vous ne vous adressez pas la parole le matin. Encore plus le dimanche matin. Vous savez bien que la vie le dimanche matin quand vous n'avez pas de perspectives ni de révolutions, ça peut être encore plus dure. Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina a ce regard, ce regard qui veut dire seulement et encore une fois : « Et si on le faisait ce matin ? Et si on se lançait dans le vide une bonne fois en se laissant derrière nous tout ce monde et toutes ces gens, et si on se laissait derrière nous tout et tout ce qui va avec ? » Tu penses que Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina soit un romantique et que la vie, la vie en prose, continue et doit continuer. Mais tu lui donne des raisons pratiques qui peuvent le distraire, qui peuvent le faire souffler un peu : « Vous vous ne souvenez plus, Monsieur ? » et tu fais une pause pour qu'il y ait le temps de vous regarder interrogativement et dans ses yeux il y ait un 'Quoi ? J'ai oublié quelques révolte, quelque gouvernement à boycotter, quelque vie à changer ?' « Nous avons décidé que nous ne le ferons jamais le dimanche. Les gens veulent rester tranquilles le dimanche, ils doivent avoir le temps de penser au fait que leurs vies ne font pas de sens et donc être encore plus désespérés que normalement et se lancer...» «...par la fenêtre ? J'espère que ne soit pas le cas, c'est mon boulot...» « Laissez-moi terminer mon discours, ô Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina ! Je voulais dire : et se lancer dans le bras du gouffre vide de la vie de leur semaine. » « Il faut faire tomber ce système ! Prendre les gens au pouvoir et les jeter dehors ! Et il faut le faire maintenant ! [en criant] MAINTENANT. » Il ne se lasse pas Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina, c'est admirable. Il est tout tremblant, maintenant. Toi tu bois ton café. Tu penses que même s'il y a cette fixation de jeter les gens par les fenêtres, bordel, son café est délicieux. « Monsieur, aujourd'hui vous vous êtes vraiment dépassé : votre café est exceptionnel. Je dirais le meilleur café d'ici à Bucharest. » Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina, tourne le regard, tu vois qu'il est flatté et montre toute son intime timidité. Ce n'est pas grâce à ses compétences culinaires qui veut se faire une place dans le coeur des gens, Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina vise la révolution dans l'esprit des gens, pas dans leur estomac. Mais il sait bien que quand on songe à la révolution et on veut renverser des gens et les jetant par la fenêtre, il faut être bien réveillé et que du bon café, parfois, peut faire plus que des mots hurlées au petit matin. Et combien de cafés à dû préparer pour ses hommes dans sa vie de défenestreur. C'est ça, il te voit un peu comme son associé, il espère que au moins toi tu soutiennes sa cause, que tu vois sa mission, la raison de toute cette vie de turbulences de l'âme, de barbes mal rasées, de corps serrés et lancés dehors dans le vide pour un toujours trop court vol. Il espère que dans tous les silences qu'il y a dans ce monde et dans cette cuisine, tu arrives à comprendre son destin. Et pourquoi pas ? Enfin, tout le monde veut être rassuré dans son destin : tu es en train de bien faire, tu es le meilleur, on t'aime, je suis là pour toi, t'as raison, c'est juste, on est d'accord, je savais que tu allais réussir, toi t'es le meilleur, tu n'es pas nulle, il n'y a que toi dans notre coeur, ici il y a toujours une place pour toi, on te comprend, on sait ce que ça vaut dire pour toi, t'as pas besoin d'expliquer quoi que ce soit, on t'aime. Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina retournes la tète vers toi, tu savoures encore son café en pensant au fait qu'il faudrait que vous sortiez un peu plus, que vous vous faites plus d'amis, que vous vous inscrivez dans un club de sport (même si pour Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina n'importe quelle activité sportive qui n'ait pas à faire avec l'entraînement au défenestrer ne fasse pas de sens), que vous vous trouviez des copines, faire quelque chose pour rendre meilleur ce triste ménage d'aspirants révolutionnaires hommes, vous avez essayez entre vous les mecs et vous vous êtes retrouvés encore plus seuls et impuissants, toi avec ta faiblesse d'esprit et de morale et sans perspectives dans ce monde de gens qui font de choses même sans s'attendre une révolution, qui ne songent même pas à une révolution, et Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina avec son impossibilité à se débarrasser de l'histoire et son tourner en rond et son regarder dehors et dehors. Il faut casser cette routine - même si le café est excellent. Il faut commencer à vivre loin de l'histoire. Tu termines ton café et tu t'adresse à Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina : « Et si on allait [pause/espoir d'Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina] nager aujourd'hui ? » Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina n'a plus de patience et ne veut plus rien entendre de tes propositions pour le faire bouger d'à côté de la fenêtre, il hoche la tête sans rien dire et toi tu insiste « Et si on faisait comme si toute cette histoire n'avait jamais eu lieu ? » Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina hoche la tète plus forte « Et si on faisait que toute cette histoire et toute cette vie qui nous est tombé dessus soit seulement un détour temporaire pour quelque chose de plus grand, de plus beau, de plus intéressant, et que ce quelque chose soit ici maintenant dans ce moment précis, pas en lançant les gens par des fenêtres, pas en se faisant lancer, sans lancement, sans se jeter, sans défenestrer personne, sans rien de tout ça, un changement, un changement radical de notre vie ! » Tu t'as fait emporter par ton discours. Ca t'arrive souvent après le café d'Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina. Il a raison Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina : du bon café est déjà moitié révolution. Tu souffles. Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina t'as regardé avec les yeux grands bien ouverts. Pour un moment t'as revu l'étincelle qui le prend quand il se souvient de son passé, de son moment héroïque qui a gravé à jamais son nom dans l'histoire. Parfois t'as l'impression qui donnerait n'importe quoi pour n'avoir pas ce marbre dur de l'histoire. Parfois tu penses qu'il voudrait être fait d'eau. Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina recommence à regarder dehors et songe encore à la révolution.
Enrico Matteo Comte de Thurn-Valsassina (3)
Aggiornamento: 17 apr 2020
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