La mythologie saussurienne a versé beaucoup d'encre à propos de la « terreur maladive de la plume » de Ferdinand de #Saussure. Cette affirmation de Saussure est présente dans une lettre, ou bien un fragment d'une lettre, envoyée à son collègue linguiste Wilhelm Streiteberg. Le leitmotiv des interprètes saussuriens professionnels par vocation ou par mission spirituelle et des amateurs de passage était toujours concentré sur l'épistolophobie (peur d'envoyer et écrire des lettres et, en général, peur et/ou incapacité d'écrire) et sur le fait, désormais un classique, que Saussure n'écrivait pas ses grandes idées et si le faisait ou c'étaient des bizarreries nocturnes ou bien il faisait bien attention à ne les faire lire à personne et enfin, en tout cas, il ne publiait pas. Saussure-qui-n'a-rien-publié est devenu un thème si recourant dans les élans rhétoriques des conférenciers et dans les rumors des dîners scientifiques (et des publications les plus inventives) qui a produit une avalanche d'encre qui a traversé les domaines scientifiques. Alors, même dans un colloque d'anthropologues allemands, au moment du dessert je me suis retrouvé à devoir répondre à la question : «Est-ce que c'est vrai que Saussure n'a jamais publié?» Malheureusement, souvent, les jugements pathétiques (plein de pathos et très suggestifs) sont marqués par une carence de travail comparatif. Au-delà des données philologiques sur la quantité des articles publiés par Saussure, sur la quantité des documents présents dans les archives et, enfin, l'évaluation du contexte d'écriture scientifique et du contexte matériel de l'époque, je dois dire, en fait, que j'ai trouvé des affirmations similaires - peur d'écrire, paresse dans la rédaction, impossibilité d'arriver à répondre aux lettres etc. - dans chaque correspondance que j'ai eu l'occasion de lire. Parfois cette terreur de l'écriture a été explicité dans des textes publiées. Voici ce matin ce que je lis : « Ma paresse est impardonnable : voici les vacances de Pâques , et c'est pendant celles de Nouvel An que j'aurais dû vous répondre ! Que voulez-vous ? J'ai toujours eu la phobie de la lettre à écrire, et vous n'êtes pas le seul de mes correspondants qui ait à se plaindre de moi. » (20 mars 1928). Si Ferdinand de Saussure n'était pas le seul à ressentir cette terreur de l'écriture, cette fatigue de l'écriture, il faudrait se questionner sur les raisons d'un soi-disant courage "scellerato" de l'écriture infinie jusqu'à l'engourdissement et plus que prolifique des interprètes saussuriens et des autres. Au-delà des misérables raisons de politique et écriture académique, il y a la potentialité donnée par l'absence de l'auteur dont il est question et par l'absence de connaissance des documents, de la lettre de l'auteur. Mais l'absence la plus évidente me semble parfois être, celle du sentiment de l'histoire. Il y a beaucoup de choses à dire et à écrire à ce propos, mais maintenant je dois aller et la description de ce sentiment, et les conséquences de son absence, sera pour une autre fois, peut-être pour les vacances de Nouvel An ou celles de Pâques. Le temps passe vite et moi je sens toujours de n'avoir pas de temps pour écrire et encore plus pour me taire.
top of page
bottom of page
Comments