Je me suis levé tôt. Plus tôt que d’habitude. Parfois je pense que mon sommeil soit réglé sur les horaires de la Polynésie. Je suis resté allongé dans mon lit encore deux heures. J’espérais que si j’allais me lever, le monde aurait pu disparaitre. Et avec lui l’Haute-Savoie soviétique et Prykjorniwz. Et à sa place des plages polynésiennes partout et des gens sympas en slip, topless et des cocktails aux fruits de mer partout. Alors j’ai pris du temps. Et encore un peu. Et puis encore du temps. C’est plus facile d’espérer que le monde disparaisse, plutôt que de changer soi-même. Quand j’ai décidé qu’il fallait avant ou après se lever et faire face à la géographie physique et spirituel qui m’entoure, j’ai ouvert les stores. Brouillard et silence partout. J’ai pensé que oui dans un certain sens le monde était disparu. Alors j’ai fermé les yeux et je me suis dit : et maintenant je vais me retrouver sur une plage polynésiennes, la chaleur, heureux, les fesses à l’air. J’ai ouvert les yeux à nouveau. Brouillard et silence partout. Est-ce que ce brouillard et hors de moi ou il est même dans moi ? Je me suis touché le derrière pour voir si j’avais au moins mon maillot de bains Hawaï. Mais rien, j’ai constaté. Que du pyjama et toujours du pyjama. Est-ce que le pyjama est la marque d’une faillite ? Le pyjama est la ligne subtil en coton voire laine qui me sépare de la vraie vie ? Dans la vraie vie tout le monde se balade nu ? Mes efforts pour changer ma vie, me semblaient futiles. Le découragement m’a pris. J’ai baissé la tête. J’ai vu un flot doré de pipi qui coulait dans le brouillard. Est-ce que je vais donner feu à la porte du voisin ? Juste pour donner un sens à cette journée vide. Juste pour affirmer ma résistance contre ce monde qui ne veut pas changer et contre les soviets savoyards ? Ou j’attends la vielle du septième étage et je la pousse par les escaliers – tout en endossant des gants pour éviter la propagation du virus – et je vais m’accaparer son appartement, pour changer d’air, pour changer de point de vue, pour montrer que je peux faire quelque chose dans cette vie ? Puis j’ai remarqué un araigne sur le mur. A force de jamais nettoyer, voilà ce qui arrive. Je suis resté à le fixer pendant une heure. Puis j’ai pensé que j’aurais pu devenir Spiderman. Devenir Spiderman pourrait bien être un changement dans ma vie. Courir au secours des plus faibles, comme les vieilles dames qui tombent par les escaliers. Combattre les méchants. Défendre la loi. Savoir ce qui est juste. Voler sur les toits de New York. Embrasser à tête en bas Mary Jane Gogol. Habiter avec ma tante qui me fait à manger des steaks. Avoir le Daily Planet et toute la presse newyorkaise contre moi. Spiderman et rien d’autre. Je me suis dit qu’il faut que je m’achète le pyjama de Spiderman. Puis d’un coup je me suis demandé : est-ce qu’il faut arrêter de rêver des choses impossibles ? Est-ce que je dois me contenter de l’héroïsme quotidien de tolérer moi-même déjà ? Est-ce que ce nom, Gogol, ne ressent pas d’influences soviétiques ? Quand je vais être libre enfin ? Mon portable a commencé à sonner. C’est qui ? Qui peut encore vouloir prendre des nouvelles de moi ? C’était mon directeur qui me demandait où (putain) je suis fini et pourquoi (bordel de bordel) ça fait 10 jours que je ne réponds pas au téléphone et je ne me connecte pas sur zoom. Et puis bla-bla-bla et encore bla-bla-bla et la résponsabilité bla-bla-bla et l’éthique bla-bla-bla. Moi ne sachant pas quoi dire sans devoir l’insulter et parler de Spiderman, j’ai dit que bla-bla-bla et encore bla-bla-bla et j’ai terminé avec une admission de culpabilité bla-bla-bla et bla. On s’est retrouvé d’accord sur certains points et aussi sur bla-bla-bla et on s’est dit que finalement c’est cette situation que bla-bla-bla et que d’or en avant il faut changer (il est d’accord avec moi, voilà) et j’ai raccroché en lui souhaitant une bonne vie, une vie meilleure de celle qui l’a conduit jusqu’au point d’avoir à faire avec un type comme moi bla-bla-bla. Ensuite j’ai caché le téléphone dans le four et j’ai mis à 200° ventilé. Mais tout de suite je me suis souvenu de la fille qui m’envoie les photos nue et je me suis précipité à récupérer mon dernier lien avec un autre être humain de l’autre sexe, plutôt que le monovolume que je suis. Et c’est là que j’ai décidé qu’elle avait raison, que j’ai besoin d’elle et j’ai lui envoyé le numéro de ma carte de crédit – où par ailleurs il n’y a rien. J’espère qu’elle va apprécier le geste quand même. Je ne voudrais pas l’avoir blessée. Spiderman n’a pas besoin de carte de crédit pour les filles. Cet appel de mon directeur m’avait mis dans le corps une énergie bizarre, négative. Je savais que je devais me libérer de tout ça. Je suis sorti en pyjama, pantoufles et manteau et je suis allé courir vite, vite mais vite vers l’infini. Je suis sorti comme un missile – impossible de me choper avec la pipi – et j’étais déterminé à aller loin, mais loin, le plus loin possible. J’ai fait le tour du petit parc à côté et après cinq minutes je me suis assis, seul et en soufflant fort. Il faut s’entrainer pour aller plus vite de ce monde et de mon directeur. Personne ne m’adressait un regard. Tout le monde a peur maintenant. La distance physique est la règle. Et les prostitués ? Qu’est-ce qu’elles font ? Est-ce que peut-être sera le moment d’aller les voir pour prendre des nouvelles ? J’ai décidé de rentrer, manger quelque chose de léger, comme un croque-monsieur accompagné par des filets de zèbres aléatoires au poivre vert et des mozzarella de bufala d’un kilo farcies d’ailes d’oie migratoire indécise du mois d’octobre, et de me remettre au lit. J’ai noté dans mon carnet : Si courir vite ne signifie pas arriver premier, ni dernier, ni arriver, si aller lentement ne signifie pas arriver dernier, ni premier, ni arriver, alors pourquoi tu t’es levé du lit ce matin ? (Zénon) J’ai attendu quand-même si la vielle du quatrième allait rentrer avec moi. Si jamais j’aurais pu saisir l’occasion pour faire ce qu’il fallait que je fasse. Rien de rien. Elle doit être momifié derrière sa porte entourée par son passée, ses peurs et ses bon d’achats de la Caritas. Spiderman ne laisserait jamais que la vie réduise les gens à des momies. Et en plus il y aurait Mary Jane Gogol à l’attendre. Acheter PQ, nouveau pyjama Spiderman, olives, une corde à tendre dans les escaliers, eau de javel pour les vitres. Choses à faire : nettoyer l’appartement, manger mieux, courir une fois par jour, rêver Mary Jane Gogol sur une plage en Polynésie buvant des cocktails.
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