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Journal du confinement. Jour 7.

Quand je me suis levé ce matin il m’est semblé que le monde avait changé. Alors je me suis décidé. Je dois changer moi aussi. C’est ma possibilité de changer. Et avec moi le monde. Ou le contraire. Ou les deux ensemble, moi et le monde. Ou d’abord moi et puis le monde. Ou je pourrais commencer par des régions, puis des nations, des continents et puis la lune, oui, il ne faut pas oublier de changer la lune aussi. Ou on change à moitié-moitié : un peu moi et un peu le monde et la lune. Mais alors on ne sera plus moitié-moitié mais un tiers et un tiers et un tiers. Mais tout d’abord, est-ce qu’il faudrait arrêter de se perdre dans des subtilités pareilles si on veut changer le monde !? Mais si ce temps doit s’écouler comme ça, comme si la vie avait subi un coup dans la gueule qui l’a laissée par terre pendant un long moment, alors je dois investir ce temps dans quelque chose de constructif pour pouvoir changer et changer le monde, ou le contraire, ou avant moi et puis le monde – bon, t’as compris mon cher journal. Je dois alors faire comme si ce temps n’existait pas et que je suis déjà passé à la vie d’après, que je suis déjà changé . Mais d’où commencer ? Je commence pour me laver finalement ? Je vais coudre mon nom sur mes slips pour renforcer mon sentiment identitaire ? Ou bien je pourrais lancer un élevage de moutons sauvages de Zug à la laine déjà tricotée et tomber amoureux d’une fille de la montagne ignare des soviets et qui connait la signification de se lever tôt pour faire du fromage et faire la couple de la montagne et vivre à la montagne, moi, elle, les moutons sauvages comme une grande famille tout en faisant attention à ne pas faire de la confusion entre moi, elle et les moutons ? Non, j’y suis, j’ai trouvé ! Je me fais pousser une moustache ! Oui, une moustache pourrait vraiment être cool. Tout le monde me regarderait, même dans la Haute-Savoie soviétique, où il n’y a pas de femme sans moustache et viceversa, et dirait : «Waoooh quelle moustache, ma belle ! ». Et mes connaissances d’ascenseurs en me regardant pour les étages nécessaires me diraient : « Il y a quelque chose de différent en vous, Monsieur. », et moi je dirais avec l’humilité qui me caractérise : «Peut-être c’est la moustache ? Regarde !» et je frotterais ma moustache sur les oreilles des gens. Et je pourrais sourire sous la moustache, finalement, me mouiller la moustache, faire le regarde à la moustache, rincer la moustache, me balader à la moustache, sortir la moustache, trancher une argumentation avec de la moustache et me sentir dire que «je ne vous entends pas bien sous toute cette moustache !», être poilu comme il le faut pour un vrai homme. Être moustachu c’est le changement ! Puis une tristesse profonde s’est emparée de moi. Dois-je me laisser aller ? M’exposer au monde et aux fluides de mon voisin sans plus résister ? Tellement de possibilités s’ouvraient devant mes yeux que je restais assis les mains sous mes cuisses et je hochai la tête sans m’arrêter un moment. Je devais faire pipi. Le corps a ses besoins qui vont au-delà de la tristesse. J’ai été forcé de me lever. Devant le miroir des toilettes je me suis regardé. Milena et ses moustaches de l’Haute-Savoie soviétique ont laissés des traces dans moi. Même dans mes moments les meilleures, à la moustache, je ne peux pas m’empêcher de penser à elle et aux soviets. Si je veux changer je dois commencer par ça. Prendre de la distance. Mettre de la distance. Faire de l’espace. Ajouter une pièce à mon âme. Changer de perspective. J’ai noté dans mon carnet : tu ne peux pas t’échapper à toi-même, surtout si tu n’as pas déjà trouvé un nouvel appartement. Et c’est dur avec le marché de la vie et immobilier contemporain. Alors il n’y a que la route, la route et encore la route. (Jack Kerouac). Pour chasser la solitude et retrouver le courage d’abandonner le passé au passé, j’ai mangé une des spécialités de la mer du nord que j’avais connus quand j’habitai en Islande et je vivais essentiellement de la chasse dans les trous dans la glace : phoque impériale fourré de champignon du Pôle Sud avec contour de pommes de terre amères comme l’igloo vide, noyées dans la soupe de requin végane cuit dans les algues romandes. Le reste de la journée je l’ai passé en me sentant sensuel 5 ou 6 fois jusqu’à annuler ce sentiment de vide persistent. Acheter plus de phoque, de l’éléphant de mer, pâté d’hippocampes, poulpe toujours du poulpe. Souviens-toi qu’après la mort d’un président, alléluia alléluia, il faut se mettre à attendre la mort de son successeur.


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