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Journal du confinement. Jour 6.

Je me suis levé très tôt. Dehors il fait encore nuit. N’arrivant plus à rester dans le lit et trop découragé pour m’habiller pour les premiers froids et sortir, j’ai fait un tour dans les escaliers avec mon pyjama fleuri acheté l’été passée à Albertville. J’ai imaginé de frapper à la porte de chacun pour souhaiter une bonne journée et demander si tout le monde va bien. Il faut s’aimer entre voisins. Puis je me suis rappelé de la solitude du monde qui entoure mon cœur. Alors j’ai fait pipi devant la porte du voisin. Ça m’a donné de la vitalité nécessaire pour faire face au reste de cette énième journée de confinement sans action ni rien. Je pense que je vais répondre à la fille qui m’envoie ses photos à poil sur Whatsapp et le numéro de son compte bancaire « si je veux voir plus ». Qu’est-ce qu’il y a encore à voir dans ce monde de solitude ? Je pense que lui proposerai un rendez-vous romantique à distance. Ma vie doit prendre une direction. J’ai besoin de m’entourer de gens sensibles. Suis-je trop prétentieux ? En rentrant chez moi j’ai croisé l’homme de la poste, Arturo Perez Reverte. Moi je dis toujours «Bonjour, bonhomme de la poste». Il ne m’a jamais répondu, mais il soupire et me regarde comme on regarde un fou. Je pense que c’est notre truc à nous. Grande surprise : j’ai reçu un paquet de la part de Milena envoyé directement de Prizkotnjekz dans la Haute-Savoie soviétique. D’un coup tout faisait du sens. J’ai presque bloqué la fille sensible sur Whatsapp, mais ensuite je me suis dit qu’elle est tellement sensible qu’elle va en souffrir. Le paquet était une jolie boite rose emballée dans du papier azur avec un ruban vert pistache séché au vent de la mer du nord. Ce que j’ai toujours aimé dans Milena est sa capacité de rendre mon monde meilleur avec un million de petits détails. Est-ce que mon monde est meilleur aujourd’hui ? Son esprit originel, sa classe rayonnent dans le choix de ce ruban pistache, comme la glace qu’on léchait ensemble devant le lac glacé de Pryktrownik dans la Haute-Savoie soviétique et 47 degrés sous le zéro et les langues qui se collaient à la glace et on rentrait comme ça à la maison en parlant avec beaucoup de voyelles et puis elle tirait d’un coup la glace vers elle et ça me faisait très très mal. Jamais doleur ne fut plus douce. Aujourd’hui je pense que quand-même aurait été mieux de s’acheter une glace chacun. Mais c’est de la mélancolie, que de la mélancolie et de la solitude. L’amour nécessite de consonne ? Je n’en sais rien, je me perds dans mes pensées, cher journal. Est-ce que je suis déjà en train de me détacher de ce monde ? Je suis rentré et j’ai posé la boite au centre de la table. Je l’ai regardée longuement en syllabant le nom de Milena, ma-dou-ce-Mi-le-na. Je n’avais pas le courage de la déballer et alors j’ai décidé de prolonger le plaisir en me préparant un petit-déjeuner léger. J’ai avalé d’un coup une soupe aux mouettes ambitieuse à l’aneth sauvage et du poulpe introverti noyé dans un demi kilo de foie gras, le tout accompagné du cheval qui restait du jour avant. Je me suis senti sensuel encore une fois. Ça doit être le poulpe. Rempli de courage, j’ai ouvert la boite. Très grande surprise ! Dans la boite il y avait un rat, mort. Qu’est-ce que ça veut dire ? J’ai fait mes recherches sur internet. Je ne suis pas un expert, mais pour ce que j’ai pu comprendre à travers des sources sibériennes bien informées, je pense que ça veut dire : je pense encore à toi (mais avec de l’humour). Moi aussi je pense encore à elle. Je dois l’avouer. Il y avait aussi une petite carte où Milena avait écrit avec sa calligraphie simple d’enfant ou de kidnappeur - ça dépend du contexte : « J’espère que t’es mort comme ce sale rat ! Va te faire foutre ! » Un des problèmes dans la relation avec Milena est que, selon mon avis et celui de mon cordonnier du coin Carlos J. Gomez y Castaneda, elle ne connait pas ses limites : le rat mort aurait été suffisant. J’espère qu’elle va rencontrer ses limites sous les semblants d’un ours sauvage de l’Haute-Savoie soviétique. Oui, c’est vrai, je me sens seul. Dans cette solitude, je me suis remis au lit. Quand je me suis réveillé, j’ai mis le manteau sur mon pyjama et j’ai décidé d’aller enterrer le rat mort dans le jardin commun, comme un geste symbolique pour enterrer ma relation avec Milena. Je pense que mon voisin manque de sens de l’humour. Car il a fait tomber du ciel tout un bac de pipi – il a beaucoup d’enfants et deux grands-parents incontinents – qui est fini sur ma tête. J’ai fait comme si rien ne c’était. C’est évident que le rapport avec Milena me distrait. Dans le combat de la vie il faut être concentré. J’ai noté dans mon carnet : Le conflit entre la pipi bourgeoise et l’amour prolétaire, c’est l’âme du capitalisme (Marx). Si quelqu’un me demandera où c’est fini tout l’amour, je lui dirais d’aller le chercher sous les tomates de l’été passée dans le jardin commun. Acheter des pantoufles combinées au pyjama, 45 concombres, de l’encense pour funérailles, plus de poulpe. Choses à faire : s’épiler avant d’envoyer photos, se sentir libre devant le monde libre. (En relisant mon texte : est-ce que le rat symbolise le président des États-Unis ou c’est vraiment moi ? Dans le doute je dirais que c’est le président des États-Unis, sale rat !)


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