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Journal de confinement. Jour 2458

Aggiornamento: 8 dic 2020

Les jours passent identiques les uns aux autres. Tous les mêmes. Est-ce que je suis en train de perdre mon esprit pour les petits détails de chaque jour ? Ces petits détails qui rendent la vie pleine d’intérêts et d’humour ? Est-ce que je devrais écrire un journal pour noter tout ça ? Ah, oui, je le fais déjà, désolé cher journal, mais parfois quand on est si proche on tend à s’oublier ou bien tes pages se confondent avec ma vie, ma vie se confonde avec ton encre, ton encre se confond avec mon sang, ton sang ou mon sang se confond avec mon truc, bon, t’as compris. Alors qu’est-ce qu’il y a encore à faire ? Je me sens comme dans ce film où le monde ne change jamais et ensuite je vais découvrir que c’est toute une mise en scène, que c’est un grand spectacle où tout le monde joue un rôle, sauf moi. Mais s’il y a quelqu’un qui a écrit mon scénario, alors ça doit être un type avec un sens de l’humour incompréhensible ou un norvégien triste et solitaire en manque d’alcool. Un quelque Olaf Bjordgensesnej, blond, grand, fort, au ventre énorme, qui n’est jamais sorti de son fiord et que tous les autres norvégiens des fiords voisins considèrent comme le type originel du fiord à côté avec la passion pour l’écriture et qui n’a jamais tué une phoque de ses propres mains. Olaf doit se considérer un écrivain. Mais pas un écrivain de prose, classique, avec un intrigue, un commencement de l’histoire, un point central et la fin avec la solution de l’intrigue. Non, Olaf Bjorgensensjnes, doit se considérer plus proche des poètes, mais pas ce genre de poètes épiques avec des vers simples qui avancent comme un bataillon lors d’une charge. Non, Olaf Bjorgenjsesjens, se considère un poète hermétique naturaliste. Tout d’abord il y a une posture naturaliste. La posture d’Olaf Bjorgnjenssen c’est d’écrire ces lignes tout en étant nu avec le regard qui se perd dans le fjord. Puis le style. Tous ces textes, les histoires qu’il raconte sont simples mais d’une simplicité pure. Parfois ils sont si purs que Olaf Bjorgnesensn n’écrit rien. Il reste là avec son stylo en l’air et les couilles au vent pendant plusieurs heures. Puis Olaf Bjorgnesjens commence à avoir faim. Et alors il mange de la viande séchés de phoque qui n’aimait pas la vie. Après il fait une petite siesta. Après il se réveille, mais c’est déjà nuit à 14h et donc il n’arrive à rien écrire car il ne voit rien. Donc il décide de rentrer. Il rentre et il va au sauna. Dans le sauna il a l’inspiration, toute une longue histoire il se présente à ses yeux. Mais à cause de la sueur le stylo lui glisse tout le temps par terre. Finalement il a faim à nouveau. Il mange une baleine cuite dans l’huile d’alpaca avec trois bières sans alcool avec du jus de baie sauvages wittgensteinienne de Skjolden et juste avant de s’endormir écrit : «Il regarde dehors. La journée se termine.» Et moi que je suis le scénario je passe la journée en regardant dehors en attendant que Olaf Bjorgnensens ait d’autres idées – parfois il se réveille la nuit et ajoute «Puis le silence.» Il faut que je trouve un solution à l’ennui mortelle qui occupe ma journée confinée. Et dire que j’ai fait de mon mieux. Dès que les paquets avec les bêtes mortes n’arrivent plus, je ne pense plus à Prizkiornieyk et à l’Haute-Savoie soviétique et surtout je ne pense plus à elle – du coup c’était quoi son nom ? Marbella ? Mireille ? Marielle ? Mijana ? Mowgli ?(1) Peu importe désormais. Mon ennui est toujours là et hante mes journées de confinement. Je me suis demandé ce que j’aurais pu faire pour me donner le juste élan, pour que le temps passe de manière fructueuse. J’ai essayé avec le pain fait maison. C’était à demi cru et à demi brulé. Je l’ai lancé aux écureuils qui m’ont tiré des pierres en retour. J’ai essayé avec les tiramisu et la pâtisserie faite maison. J’ai passé deux jours aux toilettes. Peut-être les œufs que j’avais acheté les mois passés étaient périmés. Bon au moins je me suis entretenu pour un moment. J’ai essayé avec la pizza. Mais la seule pizza que je peux manger est faite par un napolitain et même si j’ai dit jamme jamme et je chantais les chansons napolitain pendant la préparation, le résultat avait le gout de la défaite. J’ai essayé avec les cours en ligne. J’ai essayé avec la méditation. En récitant des mantras bouddhistes new age, genre : mon-cul-mon-grand-cuuuullll, mon-cul-mon-grand-cuuuullll. Mais je pense que je me suis trompé avec le texte, car je n’ai pas senti aucun effet mystique, sauf une sorte de libération des préoccupations et des opinions d’autrui. Marc Aurèle mon prof de yoga me dit de doubler la pratique des asanas. Et si je me sens sensuel une, deux, même trois fois par jour, il n’y a pas de problème, il dit d’accepter ma sensualité et me laisser pénétrer par le plaisir. Quelque chose me dit qu’il sera mieux que je ne suis pas les cours de Marc Aurèle en présentiel. Mais bon peut-être ce n’est que des préjugés envers un homme qui oublie toujours de fermer son pantalon. L’ennui est mortel. Il n’y a rien à faire. C’est dur de reconnaitre ça quand on vient juste de mettre la tête dans le four pour se suffoquer avec le gaz. Pour se souvenir finalement que c’est un four électrique. Le vide. Le vide absolu. Mais aussi la chaleur. La chaleur totale. Cette chaleur qui vient du four à 200 et rentre dans mon cœur. Je suis allé me laver le visage. J’ai pensé que même la technologie était contre moi. Retrouver l’esprit de la nature, l’esprit du fiord. J’ai noté dans mon carnet : «Le monde est ce que nous vivons et comme nous le fabriquons. Souviens-toi donc de faire le ménage et d’aimer la foret. » (Thoureau) Je suis sorti alors dans le jardin du bâtiment. Et j’ai guetté le chat des voisins pendant plusieurs heures pour réveiller mon esprit de chasseur, pour me confronter à un autre prédateur. Je me suis allongé sur la pelouse comme si j’étais mort. Je suis resté immobile pendant des heures et des heures. J’ai commencé à avoir froid. Et faim. J’ai pensé à Olaf Bjorgensesn sur son fiord. Puis je voulais faire pipi. J’ai pensé que pour l’instant rien n’était tombé du ciel. Que mon voisin lui aussi devait être assis seul sans espoir et avec un blocage des voies urinaires et avait terminé la réserve de pipi dans le frigo. J’ai décidé de rentrer. Je faisais pipi quand en tournant la tête vers la fenêtre, j’ai vu passer dehors le chat des voisins qui allait chasser tout tranquille. Déception. Si ce n’était pas mon esprit à être faible, c’est mon corps. Est-ce que je suis trop timide ? Est-ce que je suis trop faible ? Mes désirs pris entre corps et esprit sont écrasés. J’ai mangé avec les larmes aux yeux pour la découverte de l’impuissance de mes désirs devant le monde, une casserole de lièvre claudiquant farcie de escargots kangourou australiennes, olives sardes et fromage d’alpage sans vent et j’ai bu un litre du rivella chaude avec du sirop de souvenir d’abeilles parties ailleurs. Acheter PQ, fraises confies, poulpe toujours du poulpe, acheter peinture verte. Choses à faire : écrire à Olaf Bjorgensesynsjen, s’entrainer dans la technique du camouflage dans la pelouse, passer au gaz. (1) PS écrit en 2028 : Chère Milena, à l’époque je vivais une période conflictuelle. Tous ces animaux morts qui tu m’envoyais et tous tes insultes me jettaient dans un état de confusion. Il me paraît que tu ne me voulais plus voir, mais alors pourquoi continuer à m’envoyer des boites avec des bêtes mortes ? Et pourquoi tous ces insultes ? Je comprenais bien l’humour de l’Haute-Savoie soviétique, mais en même temps mon concierge commençait à me poser des questions sur tous ces trous que je faisais dans le jardin et tout ça me rendait la vie un peu difficile. Se lever la nuit pour enterrer les cadavres. Se remettre au lit. Mentir au concierge. Et tu sais que je n’arrive pas trop à mentir. En tout cas, à l’époque, quand j’ai écrit cette page de mon journal je me souvenais bien de ton nom, mais c’était difficile de l’avouer à moi-même. Et je m’en souviens encore, même si quand je m’approche de ta maison tu sors le fusil et me tire dessus. Mais pour moi ce coups de fusil me font chaud au cœur, car je pense que c’est le même fusil avec qui tu as tué toutes ces bêtes pour me les envoyer avec tes jolies mots qu’encore tu répètes aujourd’hui : va te faire foutre et si tu t’approches je te tue. Et le mieux est que c’est vrai. T’essaye de me tuer avec ton fusil. C’est vrai. Et parfois tu me choppes. Et moi je porte sur moi toutes les cicatrices des balles de ton fusil. Et plus je les regarde, plus mon cœur rêve encore de tes coups de genoux sur mon menton.


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