Cher ami, merci pour ton message et pour l'intérêt que tu montres pour mes recherches. Je suis très désolé, mais je n'ai pas l’intention de m'engager dans l'écriture du beau projet de recherche que tu me proposes. Je sais que c’est difficile pour toi de comprendre mon choix, parce que tu sais bien que dans quelques mois mon contrat va terminer et je n'ai pas encore trouvé un autre. Mais, tu sais, depuis plusieurs années j'ai décidé de ne réserver plus du temps pour la rédaction des projets de recherche et je ne veux même pas en parler. J’ai préféré me consacrer à l’écriture d’articles et l’écriture de recherche et j’essaie de faire de l’écriture efficace et raconter ma recherche dans la manière la meilleure. Ce que je fais à la limite est de recycler des projets déjà prêts que j’avais rédigé dans les années passées et qui n’ont jamais trouvé un financement et ils ont été abandonnés dans le limbe des recherches jamais nées. Ces projets je les avais rédigé quand je pensais que les choses se seraient passées de manière différente, plus linéaire (le projet est super-beau et scientifiquement de haut-niveau, donc je vais décrocher une super-bourse), quand je n’avais pas compris et personne m’avais dit, qu’il n’aurait été pas si facile et que la qualité scientifique n’était pas suffisante pour avoir un travail et que cette histoire de déposer un projet de recherche implicitement produisait la possibilité de continuer et continuer à rédiger des projets, sans jamais donner la possibilité de faire de la recherche et que donc la rédaction des projets se serait substituée à la rédaction scientifique, à l’écriture de recherche, en faisant que ce que je voulais écrire et publier aurait été renvoyé à jamais et que toute cette écriture inachevée aurait pesé dans les années suivantes. Mais maintenant, dans ce moment, en tant que travailleur sans un contrat indéterminé dans l’université et appartenant à la catégorie des working poor, j'ai décidé que je préfère consacrer le temps dont je dispose à l'écriture et la lecture de recherche et de renoncer à la possibilité de déposer des projets. Et en réalité, en considération du fait que j'essaie de faire le chercheur, que j’essaie de faire l’écriture, plutôt que le rédacteur de projets, donc même la définition de précaire me dépasse et je n’arrive pas à l’accepter parce qu’il serait encore s’inscrire, se soumettre à un système qui me tiens dehors et donc me mettre moi même dans une posture d’opposition, d’attente et de frustration - et combien de rage et de douleur j’ai vu entre ces murs - qui n’est pas la mienne et que je refuse complètement, parce que moi je suis un chercheur et un écrivain, je ne suis pas un précaire par rapport à un système stable que j’accepterais donc en me donnant cette définition, quand il ne m’appartient pas en réalité, je ne me sens pas partie de cette communauté définie par l’institution. La communauté à laquelle je voudrais appartenir est faite d’écriture et d’expérience, pas de signatures sur des contrats, pas de hiérarchie, elle n’est pas localisée dans un endroit, n’est pas limitée à ce bureau et à cette ville. Donc avec le temps qui me reste, je préfère terminer les textes que j’ai commencé à écrire et essayer de publier les articles de recherche que j’ai laissé à moitié dans les années précédents. Je préfère essayer de faire partie de cette communauté d’écriture et de recherche. Je préfère n’être pas dérangé dans ma journée de lecture - parce que tu sais, le problème et toujours la lecture et que quand ton esprit doit courir d’une partie à l’autre de ta vie et de ton temps pour attraper ce contrat ou cette bourse et encore pire pour trouver un job n’importe lequel pour payer ta vie sans tomber dans le chômage et dans la bureaucratie, tu n’arrives pas à trouver la calme pour lire tout ce que tu voudrais lire et qu’il faudrait lire pour que ton écriture fasse du sens, tu n’arrives pas à faire la place nécessaire pour accepter le texte que t’es en train de parcourir.
Je sais ce que tu penses maintenant. D’autres avant toi ont pensé la même chose. Et moi j’ai vu déjà leur expression sur le visage et le sentiment de mettre de la distance - comme quand je propose à mes collègues de se taxer du 10% chacun et créer un fonds indépendant de la faculté pour soutenir les collègues en difficulté, créer des nouveaux contrats et soulager le travail de tout le monde. Et tu sais pourquoi selon moi ? Une des raisons est que cette attitude entraine implicitement une critique du système du financement académique et donc une critique de ta position au sein de l’institution qui personne veut écouter, parce que alors il faudrait repenser la situation actuelle des chercheurs au moins par rapport au décalage temporel et de vie entre les nécessité de la recherche (libre, indépendante et sans échéance temporel préventive sur l’emballage) et les nécessités du système économique auquel il est soumis et qui vient d’ailleurs, de l’extérieure de la recherche. Même si on ne veut pas faire cette critique, mais seulement essayer d’avoir une qualité de vie meilleure, d’une manière ou d’une autre, on pose les bases de cette critique seulement en se comportant de manière différente. Il faut être comme nous, autrement mec, t’es un danger pour nous : depuis toujours la différence n’est pas acceptée. Je sais bien que tu t’inquiètes pour moi et que j’ai de la chance à avoir rencontré quelqu’un comme toi qui pense à ma situation, quelqu’un qui ne veut pas jeter le travail fait durant les dernières années de contrats précaires et qui voudrait me donner encore du travail et je sais bien combien t’as fait pour les droits des travailleurs et combien t’essaies d’être juste dans ton travail et que toi aussi t’as fait des choix dans ta vie. Et je suis bien conscient que mon choix pourrait me couter cher pour ma carrière (mais désormais combien est ridicule ce terme quand on pense aux découvertes pour paramètres et aux pages qui ont fait du sens) et pourrait avoir un impact sur ma soi-disant situation financière, et en réalité il a déjà un effet sur ma vie depuis que j’ai arrêté avec cette histoire des projets, mais je ne peux plus dépenser mon temps en rédigeant des projets dont je ne peux pas être sûr de la réussite financière et dont je ne contrôle pas le destin administratif (quand par contre je connais bien la valeur et la perspective scientifique) et qu’en même temps déterminent l’emploi de mon temps et la qualité de ma journée. Quand t’es précaire, tu n’as pas le temps de te mettre à écrire de projets. Quand tu fais l’écriture, tu n’as pas de temps à mettre dans la rédaction de textes qui ne font pas de sens pour toi, parce que ne sont pas visés à la découverte, ne sont pas de l’écriture de recherche - parce que souvent la découverte a été déjà faite et ces textes servent seulement à trouver l’argent pour le développement. Et, enfin, cet argent sert pour te payer le loyer et ta vie. Car tu sais qu’ici on n’est pas seulement en train de parler de ma recherche et de la recherche en général, mais aussi de ma qualité de vie, de ma journée, de mon temps. Tu ne vois pas les choses comme ça, je sais, et je suis en embarras à m’adresser à toi de cette manière parce que je sais que tu vais en souffrir. Mais la différence de perspective lié à l’écriture et à la recherche est faite de diverses perspectives temporelles. En effet, il y a une différence dans la gestion du temps entre qui a un poste indéterminé et les autres qui travaillent sur des projets et avec des contrats à temps déterminé et qui sont mal payés et donc souvent font un autre job à côté. Tu vois, tu sais comme va se dérouler ton temps, ce que tu vas faire de tes journées, tu planifies tes mois et tes années et si tout va bien et t’as fait des bons calculs en considérant les possibles obstacles, tout va se dérouler comme prévu. Moi, moi je ne sais pas vraiment où je pourrais être dans une année et souvent ce que je ferai dans une semaine. Je planifie et j’organise, mais pour les grands travaux d’écriture, je suis toujours exposé aux changements qui pourraient bloquer l’écriture et la recherche et renvoyer la rédaction. Et si tu veux aussi vivre, tu préfères vivre qu’attendre de vivre et en même temps tu te dois débattre dans l’obligation de devoir payer ta vie, ou bien le contraire de la vie, alors les obstacles à l’écriture sont la normalité. Toi t’as le temps de prendre des décisions sur la base des projets de recherche et d’écriture, mais moi je n’ai pas le temps, je n’ai jamais le temps, je n’ai pas le temps à perdre parce que je ne sais jamais combien durera ma situation actuelle qui me permet d’écrire pour un moment et quand un changement me forcera à arrêter et donc ce temps qui me reste je le dois défendre, si je veux faire quelque chose qui fasse du sens pour moi. Faire du sens avec le temps qui reste est la seule chose qui rend sensé ces journées d’écriture.
Comment t'expliquer mon cher ami que je ne veux pas rédiger l'énième projet de recherche ?! Que seulement le fait de penser à un projet de recherche produit dans moi un sincère dégout et me fais considéré le fait qu’il ne fait pas de sens cette activité ? Comment t'expliquer que je ne veux plus mettre du temps dans la rédaction d'un texte qui pourrait être enfin inutile pour ma vie ?! Que j’ai déjà appris ce qu’il veut dire d’être refusé et continuer dans cette posture, s’exposer encore au refus est seulement ne vouloir pas avancer ? Que mon temps, le temps qui me reste, je veux le mettre dans d'autres écritures, qui font du sens pour moi ? Comment te dire aujourd’hui, sans te blesser, que je suis très content que tu ait pensé à moi, mais s'il te plaît arrêtes de penser à moi pour de projets de recherche ? Car mon statut économique et ma vie m'empêchent de me mettre à la rédaction de projets de recherche ? S’il te plaît donc, si t’as un contrat pour moi, je serais heureux de l’accepter, mais ne revenir plus me chercher si t’as un projet à écrire, parce que moi je suis précaire et je n’ai pas le temps. Et même si ce nouveau contrat m’entrainera encore une fois dans un autre sujet de recherche et des nouveaux domaines à explorer et d’autres choses à apprendre et me fera pousser mes capacités d’adaptabilité à différents paradigmes avec un dépense d’énergie supplémentaire au moins j’aurais appris des choses nouvelles et au moins mon temps loin de ce contrat je pourrais le mettre dans l’écriture. Tu vois que le fait que je suis précaire, si tu travailles avec moi, touche aussi à ta recherche et si moi avec qui tu travailles je n’ai pas de possibilité de travailler avec toi et je travaille dans une situation précaire, cette précarité arrive à toucher ta recherche.
L’autre jour j’étais dans une réunion. Avec des collègues on parlait de trouver un moyen pour aider d’autres collègues. Le discours fait par des professeurs et qui reprenait celui de la hiérarchie restait gelé sur cette affirmation, ce statement de l’irresponsabilité : il n’y a place pour tout le monde. Et moi j’ai commencé à parler comme si j’étais en train de le dire à moi même : « C’est bizarre comme cette même phrase me rappelle ce qu’on disait ici à propos des réfugiés durant la deuxième guerre mondiale : il n’y a pas de place pour tout le monde, le bateau est plein ; et ce qu’on entends aujourd’hui par les politiciens d’extrême droite à propos des migrants ; et le point n’est pas qu’il n’y ait pas de place mais que les gens n’ont pas de temps. Il n’y a pas de place, ils n’ont pas de temps. Nous n’avons pas de temps. Et maintenant me viens à l’esprit que faire quelque chose pour eux, même pour un seul d’entre eux, c’est faire quelque chose pour nous et combien on pourrait apprendre de ces gens qu’on laisse partir, que le temps fait partir seulement parce qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. »
Je te laisse maintenant, parce que je dois aller enseigner l’italien dans une banque et faire semblant d’aimer ça.
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