Je suis tombé et je suis tombé, encore et encore. Je dois avoir parcouru tous les étages jusqu’à arriver devant l’entrée du bâtiment et puis je me suis évanoui fesses en l’air. Les souvenirs deviennent confus à ce point, cher journal. Je me suis réveillé devant la porte de mon appartement. Il n’y avait plus la plage, la mer, les amis, les pierres sur le zizi, ma famille, ma jeunesse, Milena et le passé. Je ne savais pas comme j’étais arrivé jusque-là. J’avais mon menton sur le sol. Il me paraît que le sang avait arrêté de couler. J’ai réussi à tourner la tête pour regarder autour de moi. Le chameau mort de Prizkornyzwzckie de l'Haute-Savoie Soviétique n’était plus là. Quelqu’un devait l’avoir pris ou devait s’en être débarrassé de quelque manière. J’ai pensé que le concierge devait l’avoir jeté à la poubelle, mais je pouvais renifler l’inimitable odeur de viande de chameau cuit qui s’était emparé du bâtiment. En sachant bien que le concierge et toute sa famille sont des végétariens intégristes - comme tous les concierges de la ville tant qu’il était désormais inscrit dans le contrat de travail officiel de l’ordre officiel de la confédération officielle des concierges de la ville - ne restaiqu’une réponse : un des voisins avait pris le chameau pour le faire rôti. Nu sur le sol, plein de douleurs, la mélancolie s’est installée dans mes pensées en constatant que c’est vrai que cette ville n’est plus celle d’auparavant. Une fois tu pouvais laisser ton chameau mort, même ton cheval, ta girafe, ton octopus, ton n’importe quoi mort devant ta porte sans qu'à personne passerait par l’esprit l’idée très inappropriée de les prendre – le voler j’oserai dire - pour en faire le plat principal de son dîner. A ce constant, qu’on dirait civique, un autre sentiment me travaillait : je pouvais penser et décider tout ce que j’aurais pu penser et décider à propos de Milena de l’Haute-Savoie Soviétique, mais ce chameau mort restait quand-même un fragment de notre histoire et de notre passion originelle et unique. Mais probablement le fait que ce chameau disparaissait de manière anonyme dans le ventre affamé d’un voisin inconnu avait une signification précise : l’amour se termine toujours avec un dîner pour les autres auquel tu n’es pas invité et tu restes seul, nu et affamé. Je ne sais pas, cher journal, on verra ce que le temps me réservera et aussi ce que Arturo Perez Reverte mon bonhomme de la poste m’apportera.
J’ai cherché mes slips. Rien. Ni sur ma tête ni ailleurs autour de moi. Je devais les avoir perdus dans la chute ou bien ça aussi quelqu’un devait l’avoir pris. Et si les avaient pris, pour quoi faire ? Je n’osai pas chercher une réponse. La dépravation fait partie de ce monde, je le sais bien, et la captivité des derniers mois n’aide pas à retrouver une sorte de moralité ou au moins édifier de la camaraderie entre prisonniers qui ferait que chacun garde ses propre slips aussi longtemps que possible. Et en plus c’était l’un de mes slips préférés et c’était dommage les avoir perdus : quand on trouve des bons slips c’était toujours dommage de s’en séparer.
Je me suis levé. J’avais mal partout. J’avais vraiment mal. J’ai contrôlé s’il y avait d’autres blessures, mais il parait que à part les bleus en forme de maculés sur l’entière surface de ma peau tout était comme avant : mon corps nu comme un lombric me montrais impitoyablement toutes mes défaites. Sur ce constant, je décidais que c’était le moment de rentrer chez moi et soigner les endommagements de ma carcasse. Oublier la guerre de la pipi, oublier la vielle immortelle, oublier mes stratégies, oublier les embuscades, oublier le chameau, oublier mon passé, oublier Milena, tout oublier : « Oubli ton chameau, serre tes caleçons, rentre chez toi, avant qu’il soit trop tard. C’est la seule vérité du monde.» (Quintus Entiricus).
Mais étant nu, je n’avais pas de clés, j’avais fermé la porte derrière moi sans y réfléchir pris par l’enthousiasme. Je me suis souvenu des clés cachés dans le jardin commun devant l’entrée du bâtiment. Je me suis mis à penser à quoi faire. J’aurais dû sortir nu, dans le froid, avec des voisins enfermés chez eux qui n’attendaient rien d’autre qui me jeter de la pipi sur la tête, comploter contre moi et juger ma moralité. Ou bien rester nu sur le palier, blessé, sans chameau et seul. Dans ma vie normalement je ne suis pas un téméraire, cher journal, mais parfois le monde te demande de faire tes épreuves. Suis-je trop conscient de la conscience du monde ? Parfois je pense que je devrais être plus spontané. Mais bon, je me suis décidé à aller chercher les clés et rentrer chez moi le plus vite possible. Avec le confinement en tout cas j’avais statistiquement beaucoup de probabilité de ne rencontrer personne. Ou bien je l’espérais. Mais les espoirs devant le monde sont comme les saucissons : toujours le reflet du porc du passé, jamais du porc d’aujourd’hui (je dois noter cette phrase, cher journal, car ça pourrait faire un bon titre pour un essai : Le reflet du porc du passé).
Me souvenant du récent passé et du savon sur les escaliers, je me suis décidé pour la technologie et j’ai pris l’ascenseur pour descendre en bas. J’ai ouvert la porte et j’ai regardé si quelqu’un était en vue au rez-de-chaussée. Personne. Alors je me suis lancée rapide vers l’entrée. Mes muscles tendus dans l’effort de la course exacerbaient la douleur de mes tristes vols par les escaliers. Je me suis retrouvé dehors et seul. L’air froide et l’humidité qui se levait du lac frappait mes fesses comme un coup de branche de gui norvégien, utilisé normalement dans les fiords le moyen-âge pour se souhaiter bonne chance le jour du nouvel an. Il me semblait un nouveau commencement, de me rendre à la nature. Ça a duré un long moment. Mais je n’étais pas seul. Du coin de l’œil j’ai remarqué une sombre figure teutonique, ma voisine immarcescible du sixième étage, Frau Enricketa Kurtzweiler von Würstelmainz, avec un énorme cerbère en laisse. Ils étaient à une vingtaines de mètres de moi. Une fatigue millénaire typique des batailles infinie a éclatée dans mon âme. Mais quelque chose de sauvage et de profonde a fait bouger mon corps. Je me suis tourné vers elle. Mon cou s’est tendu. Mon zizi, rétréci par le froid, s’exposait sans honte au monde et à cette vielle immortelle valkyrie. Je sentais le courage de mes pudende exposées au jugement des astres et des dieux, comme un Dante dans la Comédie.
Elle m’a regardé. Son visage ne laissait transpercer aucune émotion humaine. Moi je l’ai regardé en retour. Un fil invisible de mépris se tissait entre nous. La neige commençait à tomber. On se regardait. Le temps devenait durée. J’ai regardé le cerbère. Le cerbère m’a regardé. Je sentais dans moi quelque chose de la bête sauvage et de la savane. J’ai regardé la vielle à nouveau. Le cerbère a regardé la vielle. Le silence. Des oiseaux prenaient le vol dans le lointain. Sibilant comme si son souffle s’associait au vent froid de la toundra, elle a dit « C’est à toi Faust ! » Et Faust s’est lancé vers moi. Le froid glacial a commencé à pénétrer dans mon cœur. Dans l’image suivant je me vois me lancer à ma fois vers le jardin avec un œil pointé devant moi et l’autre sur Faust. Je fonce pour arriver immédiatement au point où il me semble d’avoir enterré les clés de mon appartement. Le concierge végétarien a rempli le jardin commun de tomates, chou-fleur, asperges, courgette, courge et Faust commençait à aboyer et s’approchait de plus en plus. Avec un coup de karaté j’ai cassé un courge géante que je n’arrivais pas à bouger et que le concierge végétarien avait planté juste sur le cachette de mes clés et je me suis mis à genoux sur ce qui restait. J’ai essayé d’enfoncer mes mains dans le terrain, mais le froid l’avait rendu dur et impénétrable au premier coup. Alors j’ai commencé frénétiquement à gratter le sol avec les doigts et dès que le premier strate de terrain s’est ouvert et j’ai commencé littéralement à excaver avec mes mains le plus vite possible et Faust s’approchait de plus en plus. J’ai commencé à enfoncer les bras entier en remuant le terrain du jardin. Je cherchais désespérément mes clés et je jetais du terrain mélangé avec la courge cassée sur mes jambes et ma poitrine et partout autour de moi et Faust courait encore plus vite et je pouvais déjà en sentir l’odeur rude de sa force animale et son haleine meurtrière sur mon dos. J’ai touché quelque chose en plastique, c’était le sachet en plastique de drogué avec les clés, c’était les clés, c’était mes clés, c’était la victoire, le retour chez soi, c’était l’isolement, c’était l’asocialité, c’était la négation de la vie, c’était je ne fais pas la vaisselle ce soir, c’était la liberté célibataire, c’était le confinement ! J’ai retiré le bras du terrain et je l’ai levé avec le sachet dans mon poignet. J’ai commencé à exulter « Je vous enculeeeeee ! Je vous enculeeeeeayhhyyyaayy » et dans le même moment que je célébrais et j’allais me relever pour me lancer vers chez moi, Faust inexorable serrait déjà ses dents autours de mon poignet avec les clés et avec ses pattes griffait mes cuisses et mes fesses exposées à la vie et au monde. J’ai commencé à crier et crier encore plus fort par la douleur qui m’est semblée me traverser le corps et l’esprit. J’ai essayé de me libérer de la morsure de Faust. Je me tortillais en bougeant le bras libre et les jambes pris par l’adrénaline et la douleur de plus en plus fort. Du sang coulait de mon poignet, Faust ne lâchait pas la prise et plus je me tortillais plus ses crocs acérés semblaient se serrer autour de ma main. J’ai commencé à lui donner des coups sur la gueule avec la main libre et des coups de pieds dans le corps, jusque que j’ai lui placé un bon coup avec mon genou sur les couilles. Faust lâchait un instant la prise avec un glapissement aigu en tombant sur le dos, tout ce qu’il me fallait pour me retourner et me lancer vers la porte d’entrée du bâtiment. En criant yeaaahhh, yeeaahh, yeeaahh, les premiers mètres je les ai faits à quatre pattes avant que je me relève dans ma posture humain et j’arrive à la porte d’entrée et au retour à la vie d’interné. Mais Faust, inexorable, avait repris l’élan férocement, rendu totalement fou par la douleur et la vengeance et quand j’avais désormais la main sur le poignet de la porte, il avait récupéré tout la distance et avec un dernier saut ses dents bestiales s’enfonçaient et se serraient dans la viande fraiche et déjà lacérées par ses griffes de mes fesses. Une explosion de terminaisons nerveuses éclatait dans mon cerveau. J’ai toujours eu une seuil de la douleur très élevés, mais cette douleur superait tout ce que je n’avais jamais expérimenté auparavant. Avec cette douleur, les larmes aux yeux, une vision claire prenait place dans mon esprit.
Blanc luminescent : c’est la couleur de la douleur la plus pure. Au milieu de ce temple imaginifique de la lumière une figure indistincte se déchiffrait à l’horizon. Une odeur de muguets s’emparait de l’air de plus en plus raréfiée et en même temps gluante où tout bougeait avec la lenteur de la durée interstellaire. Tu tournais lentement la tête à droite et à gauche pour voir d’où venait ce parfum inimitable. La figure à l’horizon s’approchait et s’éclaircissait dans ces contours. Tu tendais tes bras et tes mains pour l’attirer à toi, pour en saisir les limites et les splendeurs. Puis une voix non humain déchirait la voile brillante. Tu regardais vers le bas. Tu le voyais, un gros chien noir courir vers toi et ouvrir grand ouverte sa gueule meurtrière et derrière lui le gouffre de l’abime se montrait. Un sentiment de désespoir avait désormais rempli ton esprit et les larmes s’affolaient sur tes joues. Alors tu pensais que, oui, la figure magnifique et célestiel, elle va te sauver. Tu regardais à nouveau pour la retrouver, pour en distinguer le visage, le candeur et pour te donner à son amour. Mais là tout avait changé, la figure angelicata désormais n’avait que l’image dure et froide métallique de la vielle voisine prussienne que tonitruant se lançait sur toi avec en faisant tourner sur sa tête la canne en bois endurci par le temps, la haine et la solitude et avec la poignée en or massif et la pointe en acier, en déchargeant un coup sur ta mâchoire et en te laissant tomber dans le gouffre sans fond et dans les pattes de la bête. Et puis le vide absolu, le néant.
Ça devait être passé pas mal de temps quand je me suis réveillé la main serrant encore la poignée de la porte d’entrée et le sachet avec mes clés dans l’autre main. Le bras droit pendait en accrochant tout le poids de mon corps à la porte et désormais j’avais l’épaule et l’omoplate droite endormie. J’ai bougé un peu le dos et j’ai essayé de distribuer le poids de mon corps en le calant sur mes jambes qui retrouvaient les pieds et avec eux la prise sur le sol. J’ai réussi à me relever, même si mon bras droit encore me fourmillait et me rendait difficile de coordonner mes mouvements pendant que j’essayais d’ouvrir la porte. Après quelques instants passé dans cette nuage de sensations indistinctes, j’ai réussi à ouvrir la porte et je suis rentré dans le bâtiment. J’ai pris l’ascenseur. Pendant que je montais à mon étage, j’ai commencé à penser que tout ce qui c’était passé probablement était un seulement un rêve. J’ai parcouru mon corps avec mes doigts et mes yeux. La réalité de mes blessures, l’odeur de la courge pourrie, la vision du sang coagulé sur les marques de griffes sur mes jambes, mes pieds et mes bras souillés de terre et mon poignet où se distinguaient clairement les morsures de Faust, me restituaient une image plus que désolante et réelle. Et je n’avais pas encore vu mon dos et mes fesses. Et je savais d’être encore dans la zone grise où la vraie douleur ne vient pas encore frapper à ta porte avec tous ses amis symptômes et ses frères honte, culpabilité, regret.
Je suis arrivé à l’étage, j’ai extrait la clé du sachet en plastique qui était souillé lui aussi de sang et terre et courge, de rouge et de marron et d’orange. Pas de trace de chameau mort de Prytzkornjye de l’Haute-Savoie Soviétique, ni de mes slips, ni de Milena. J’ai ouvert la porte et je suis rentré chez moi, finalement. Je me suis effondré dans mon lit et je suis tombé dans l’oubli d’un sommeil profond et aveugle.
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