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De l’apprentissage de la liberté et du doctorat

Aggiornamento: 17 apr 2020

Qu’est-ce qui caractérise un chercheur ? Que faut-il pour former un chercheur ? Des questions pareilles me sont venues à l’esprit en recevant un e-mail au sujet des formations proposées aux doctorants. En faisant défiler la liste des cours, j’ai pensé à un refrain qui est énoncé publiquement et, pour ce qui est de mon expérience, dans des réunions privées dans le milieu académique : il n’y pas de place pour tout le monde et les doctorants et les autres chercheurs qui n’arrivent pas à trouver une place dans l’institution universitaire et dans les centres de recherche, doivent penser à leur future hors les murs académiques. Plusieurs universités proposent ces cours pour former les doctorants durant leur doctorat. Ces ateliers-workshop couvrent des aspects différents : par exemple visent à la Prise de parole en public, à écrire un texte scientifique en anglais, à gérer le temps qu’on consacre aux différents aspects de la recherche (Self Management Stop procrastination), à monter une présentation PowerPoint efficace à travers une visualisation de la recherche, à bien rédiger un texte scientifique et utiliser la rhétorique scientifique. D’autres cours proposés visent plutôt la préparation à la vie après le doctorat et dans un contexte différent de l’académie (Élaborer mon profil professionnelProgramme transversal de développement des compétences génériques, Presentation skills). Si certains cours peuvent être utiles pour certains, je trouve problématique que d’autres cours préparent les doctorants au fait qu’ils doivent quitter la recherche en donnant pour assurée une carrière loin de la recherche (car, après les avoir formés et payés pendant plusieurs années, l’académie non seulement les laisse partir sans essayer de les garder, mais, en plus, elle paie pour les former au monde de l’entreprise, auquel elle offre donc gratuitement des personnes hautement qualifiées : le tout, bien sûr, avec de l’argent qui, autrement, pourrait être destiné à la recherche et à créer de nouveaux emplois). Ce qui est commun à tous ces cours est la tendance à vouloir formaliser chaque aspect de la recherche sous l’effigie de l’efficacité et de la performance personnelle : deux idées qui n’appartiennent pas à la recherche, mais qui sont plutôt du monde de l’entreprise et du marché.


On pourrait discuter de chaque cours dans le détail (on n’a pas besoin d’un cours pour la lecture rapide, mais pour une lecture meilleure, plus profonde ; le doctorat doit servir à lire le plus possible, doit former des lecteurs ; le temps est un allié et non un ennemi ; le temps doit être une liberté et non une contrainte à gérer ; la procrastination est un des aspects importants pour donner le temps aux idées de se développer et de se faire une place dans l’esprit ; comment était-il possible dans le passé de donner des cours et des conférences sans les power point ?), mais dans ce contexte je me suis demandé quel cours serait effectivement nécessaire pour la recherche, pour former les doctorants à la recherche, enfin, pour en faire des chercheurs et les aider à faire une recherche meilleure tant pour eux-mêmes que pour le milieu scientifique dans lequel ils travaillent. 


Ces questions m’ont fait penser à ce qui est nécessaire pour la recherche. Moi, je suis convaincu que c’est à la liberté d’être à la base de la recherche. Donc, si quelqu’un demandait : à quoi sert le doctorat ? Une des réponses possibles serait : à devenir un chercheur. Une autre serait : à être libre. Une caractéristique déterminante de l’être chercheur, en effet, est d’être libre – ou bien le degré de liberté qu’il arrive à atteindre. Durant le doctorat, donc, il faudrait entraîner cette attitude à la liberté. Le seul cours qui semblerait nécessaire, donc, n’est pas présent dans les listes des cours proposés pour les doctorants. Il s’agirait d’un cours pour former les doctorants à la liberté. Car pour devenir chercheur, il faut apprendre à être libre et je dirais que le cours avancé servira à ne pas accepter de compromis avec la liberté. L’objectif du doctorat dans la perspective de la formation ne doit pas être la thèse en elle-même, mais ce qui nous permet de faire cette thèse, ce qui nous permet de devenir cette thèse et cette longue période passée à lire, passée à faire cet apprentissage de chercheur. L’objectif est le résultat de la recherche, bien sûr, mais en même temps, c’est ce qu’on est devenu, enfin, le degré de liberté qu’on a atteint.


Je sais bien qu’un point de vue pareil peut sembler partiel et surtout être critiqué comme étant le fruit d’un excès de naïveté ou comme étant trop ‘visionnaire’ – c’est le terme utilisé par certains collègues pour me dire que je suis à côté de la plaque et m’inviter à ficher le camp le plus vite possible. Également, d’autres peuvent dire que je pose la barre trop haut et qu’il faut considérer le contexte du monde du travail et du monde économique des universités.


A propos de ce dernier point, dans mon opinion, il s’agit de penser et de communiquer des priorités et une posture aux doctorants et aux autres collègues. Former les doctorants sur le terrain de la liberté, signifie se projeter dans la perspective d’une communauté de chercheurs qui partagent des mêmes valeurs qui ne sont pas temporaires ou dictées par le marché économique ou par la convenance du moment. En plus, cela signifie penser à une communauté de personnes qui, si elles décident de quitter le monde académique, porteront avec elles un élément fondamental en faveur d’une meilleure société (elles seront au moins libres, responsables, conscientes). Je me rappelle quand m’a été raconté qu’une des personnes chargées de former à la gestion relationnelle affirmait que, dans un possible conflit et au carrefour avec un compromis qui peut déterminer une carrière, alors « Il faut jouer le jeu. » Traduction : on proposait de mentir, d’adopter des stratégies pour cultiver l’indifférence dans les contraintes éthiques et personnelles. Dans ce cas, en changeant l’ordre des priorités, la question à débattre aurait été pour moi : si on déjà accepté un premier compromis pour faire la recherche, comment faut-il faire pour revenir en arrière ?! Est-ce qu’on peut être amendé pour le mensonge dans la carrière scientifique ? Ces premiers questionnements nous amènent à nous demander, en paraphrasant un auteur de théâtre qui parlait à ses acteurs : pourquoi est-ce que je veux faire de la recherche ? Qu’est-ce que la recherche et qu’est-ce qu’elle devrait représenter pour moi et pour la société dans laquelle je vis ? Quel est le sens de la recherche scientifique et quel rôle doit-elle avoir dans une époque où d’autres formes de pouvoir essaient de prendre en charge sa fonction sociale et de la déterminer ?


Pour ce qui est de la naïveté, je voudrais dire que, dans la recherche, il y a un aspect de jeunesse, d’irrésistible jeunesse, qu’il faut protéger et cultiver. Si mes propositions sont accusées de naïveté, c’est que la naïveté est imputable à la jeunesse d’esprit que j’essaie de protéger, de cultiver et de respecter jour après jour. Dans la recherche, il y a quelque chose de jeune et d’effrayante beauté. Dans la recherche, il y a de la jeunesse qui ne se résigne pas et qui ne veut pas céder la place et qui ne veut pas se soumettre. Si on veut sauvegarder cette jeunesse de l’esprit, alors il faudra faire tous les efforts possibles pour préserver cette force, cette jeunesse, cette forme de vie.


Le doctorat devrait être un entrainement à la liberté (et à la connaissance, et à la lecture). Les questions qui se posent sont alors : qu’est-ce qu’il faut faire pour s’entrainer à la liberté ? Comment faire pour être libres ? Et maintenant c’est à toi : qu’est-ce que ça veut dire être libre dans la recherche ? Qu’est-ce que la liberté ? Et est-ce que tu veux être libre ? Et toi, est-ce que t’es libre toi ?


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