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Couper Saussure ou de l'élimination des cours en sciences humaines

En 1912, durant le referendum pour la reforme de l'université pour l'introduction des sciences commerciales dans l'académie genevoise, Ferdinand de Saussure fut attaqué avec d'autres professeurs de la Faculté de Lettres et Sciences sociales sur le journal radical 'Le Genevois'. Un des refrain des attaques était le fait que Saussure enseignait un sujet bizarre que n'intéressait personne ou à la limite il avait seulement un étudiant, quand par contre il n'y avait pas de place pour des enseignements plus (soi-disant) pratiques et qui pouvaient intéresser beaucoup plus les citoyens genevois. La matière enseignée, entre autres, par Saussure et qui sera au centre des attaques, était le sanscrit et le dernier et seul étudiant de l'année 1911-12 était un réfugié politique russe-sibérien, tel Serge Karcevskij, ou bien la personne qu'ensuite portera la linguistique saussurienne à Moscou, où était actif avec d'autres un jeune Roman Jakobson. Karcevskij jetait le premier grain pour ce qui sera le structuralisme, courante de la pensée qui changera à jamais les sciences humaines. A quoi bon les citoyens genevois auraient dû payer un salaire à ce professeur bizarre, appartenant aux grandes familles genevoises, pour donner des cours d'une matière obscure à un seul étudiant étranger, quand par contre les enseignements commerciaux auraient été au bénéfice des suisses et des exigences de l'actualité ?

« N'avons-nous pas une chaire de sanscrit avec un ou deux étudiants? Et n'est-ce pas M. de Saussure qui en est le titulaire? Voilà un genre d'étude distingué ! Il sait du sanscrit, ma chère ! Pour l'amour du sanscrit, souffrez, monsieur de Saussure, qu'on vous embrasse... Il est bien vrai, en effet, qu'on peut apprendre le sanscrit, à Genève; par contre, un élève sortant de notre école de commerce a le droit d'aller se faire immatriculer à l'Université... de Zurich. [...] » (Le Genevois, 6 décembre 1912).

Et encore avec un court-circuit bizarre, en considérant les propos du journal et le fait qu'un étudiant du groupe russe fut Lénine, Le Genevois jetait dans la polémique les étudiants étrangers "de l'Europe orientale" : « (...) des commerçants genevois à l'Université, jamais ! Que notre Université demeure plutôt l'immense caravansérail de l'Europe orientale.. . » (Le Genevois, 6 décembre 1912).

A quoi bon dépenser de l'argent pour une matière qui ne semblait pas être directement applicable au monde contemporain ?! A qui intéresserait un cours pareil ? Et en plus, selon Le Genevois, qui niait ce qui venait de dire deux jours auparavant, un cours qui n'attirait pas d'étudiants étrangers: « Ce qu'il faut se demander c'est si nous avons grand besoin, à Genève, d'une chaire de sanscrit, qui n'intéresse qu'un ou deux étudiants, et qui n'en a jamais attiré aucun du dehors. » (Le Genevois, 8 décembre 1912).

Le referendum ne passera pas et la réforme sera repoussée dans un cadre plus raisonnable dans les années suivantes en donnant vie à une nouvelle faculté. Les discours, comme les hommes, sont toujours les mêmes. Quelque part dans ce monde il y a un Saussure à qui son université coupe le salaire et les cours parce qu'il n'est pas intéressant par rapport au nombre d'étudiant, que peut-être sont des immigrés "de l'orient" et à cause d'un calcul économique - ou de ranking - et enfin parce qu'il est un sujet rare. Et la crise sanitaire que nous traversons est en train de faciliter cette élimination progressive des cours en sciences humaines : « Over the past decade, these programmes have become fewer and fewer,” he lamented. Rare subjects, predominantly LANGUAGES AND OTHER HUMANITIES, lack the economies of scale of larger disciplines, which puts them in a “vulnerable position” when, as in the Netherlands, university are partly funded baed on their student numbers. » (Times Higher Education)

Plusieurs questions à ce propos: Qu'est-ce qu'est un 'rare subject' !? Par rapport à quoi un sujet de recherche est rare ?! Sur quelle échelle temporelle on évalue la valeur et l'importance d'un sujet d'étude et d'une recherche ?! Qui peut dire si un enseignement, un recherche est utile ou pas ? Utile par rapport à quoi ?

(Si tu veux en savoir plus sur le 1912 et Saussure alors vas chercher «The Attack on Saussure in Le Genevois, December 1912» par le magnifique John Joseph,

d'où j'ai tiré les infos et les citations dont je parle ici!)



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