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Journal du confinement 1958 (cinquième partie et fin)

Vers le matin du jour après, un rêve d’un chien géant monstrueux qui me mangeait d’un seul coup, m’a réveillé en me faisant crier. J’avais un poids d’une tonne sur ma poitrine et mal partout. Je n’osai pas m’aller regarder dans le miroir, ni je n’arrivai pas vraiment encore à me lever. Une douleur sourde et intense se diffusait dans chaque partie de mon corps. Mes fesses étaient en flammes, mes jambes coupées en deux, ma tête était plus lourde et rugissante d’une charge d’éléphants africains, tout mon moi paraît être enfermé dans un énorme sous-marin laissé couler sur le fond de l’océan le plus profond. Des larmes de plomb salaient ce qui restait de mon visage transfiguré par le sang, la terre, la courge. Comme j’ai pu arriver jusque-là, cher journal ? Pourquoi tout le monde complote contre moi ? Et dire qu’en général les gens me trouvent sympa et charmant. Ai-je perdu mon je-ne-sais-pas-quoi ? Dois-je me renseigner à vivre une vie fait de combat, de lutte, de pipi, d’ennemis ? Et Milena ? Encore une fois pourquoi Milena ? Pourquoi mon esprit revient toujours à elle, et seulement à elle, quand je suis au fond du gouffre ?


Après quelques heures de ces pensées sombres comme le pétrole sur les ailes d’un cormoran dans un documentaire à la télé, j’ai trouvé la force de me lever et passer aux toilettes pour jeter un coup d’œil au désastre laissé par mes batailles. Le miroir me restituait l’image d’un homme sur la quarantaine, chauve, sale, blessé dans le corps et dans l’esprit, avec un peu de ventre, avec des cernes profondes. J’ai essayé de faire le tour de mon corps, pour regarder tous les dégâts que je sentais traverser tout mon corps. Tout ce que j’ai réussi à voir me racontait une histoire de désastre et défaites. Le confinement, cher journal, ne me fait pas du bien, pas du tout.


J’ai soufflé. J’ai fermé les yeux. J’ai attendu que mon mental se calme, que mon mental se calme et que mon mental se calme. Mais rien du tout. Même j’ai obtenu l’effet contraire. Mes anciens peurs des microbes invisibles et mon hypocondrie, héritage du côté maternelle de ma famille, revenaient avec une force renouvelée dans ce contexte de pandémie. Et si Faust était un chien malade et avec ces morsures m’avait transmis n’importe quelle maladie bizarre ? Et si je découvrais d’être allergique à la courge ? Et si, et si...

Et si j’allais mourir ?

Et si j’allais mourir ?

Et si j’allais mourir ?

Et si j’allais mourir ?

Et si j’allais mourir ?

Et si j’allais mourir ?

Et si j’allais mourir à cause des griffes et des crocs de Faust, qu’est-ce que je devrais penser de ce que j’ai fait de ma vie ? Et si j’allais mourir quelle sera ma dernière pensée ? Et pourquoi ? Et si j’allais mourir, est-ce que je laisserai des bon souvenirs ? Et si j’allais mourir, est-ce qu’il y aurait quelqu’un qui pleura pour moi ? Et si j’allais mourir, qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? Et si j’allais mourir, où est-elle partie ma vie ? Et si j’allais mourir, qu’est-ce qu’ils vont écrire à propos de ma mort ? Les journalistes arriveront et demanderons si j’avais attrapé le virus. Les médecins feront les analyses et diront que non, il n’est pas mort pour ce virus, il est mort à cause de l’infection transmise par un chien. Les journalistes iront alors demander aux voisins. Personne ne parlera. Puis un message anonyme arrivera aux journalistes : « C’est le chien de la vielle teutonne, c’est la sale bête au quatrième. Il aboie tout le temps et il ne nous laisse pas dormir et en plus c’est sûr qu’il a mangé les chats disparus du quartier. C’est un monstre ! Il faut que vous interveniez ! » Alors les journalistes écriront leur titre : « Nazis Dog Killer » et sera la fin pour Faust, pour lui aussi sera la fin. Ils arriveront les attrapes-chiens avec la police et les services sociaux. Ils voudront rentrer dans le bâtiment et puis monteront au quatrième étage. Ils frapperont à la porte où c’est écrit le nom : Madame Kurtzweiler von Würstelmainz. Elle ne voudrait pas ouvrir. Ils insisteront. Elle se retrancherait derrière ses réponses prussiennes en réclamant ses dominations. Ils diront que si elle ne les laisse pas rentrer, ils sont forcés d’utiliser les manières fortes et elle va avoir une amende. Elle résisterait. Quelqu’un dirait que c’est à propos de moi. Elle dirait qu’alors elle a des choses à raconter sur moi. Ils diront qu’ils aimeront bien les écouter. Elle ouvrirait la porte. Car c’est trop fort le désir d’enculer le voisin, plus fort de la préservation de sa propre sécurité. Ils rentreront. Faust ferait son choix en aboyant et se jetant contre les attrape-chiens, la police et les pompiers à l’occurrence. Et serait la fin. Faust attrapé, lié et tout de suite castré au feu pour qu’il soit calme et soumis. Mais ça l’énerverait encore plus et lui mettrait une rage disproportionnée dans son corps et continuerait à rugir et mordre tout le monde. Et alors serait supprimé avec une dose de poison tirée avec un fusil pour pachydermes. Frau Enricketa Kurtzweiler von Würstelmainz finirait dans une maison pour vielles folles, où passerait les journées droguée par les calmants et les nuits attachée au lit avec des gros liens en cuir noir aux poignets et aux chevilles et deux cordes sur la poitrine et les cuisses nouées sous le matelas. Quand elle ouvrirait la bouche pour dire quelque chose, entre la bave et le délire, serait seulement en vieux haut-allemand et quand elle serait un peu plus lucide demanderait à son chien Faust, désormais devenu imaginaire, d’attaquer et ébranler les infirmiers et les médecins et moi, le voisin. Puis elle mourrait seule, putride et puante. Ils prendront son corps et s’en débarrasseront de quelques manières le plus vite possible et personne ne se souviendrait plus d’elle. Et adieu Frau Enricketa Kurtzweiler von Würstelmainz. Et le plus ridicule serait que, après tout ça, finalement son appartement serait libre, mais moi je ne pourrais pas en profiter, vu que je serais logé dans un cercueil quelque part dans un cimetière sans fleurs ni larmes et qui personne va visiter, sauf quelques couples d’amants pervers ou des voleurs de cadavres qui se contenteront de ma sale carcasse oubliée par tout le monde.


Je dois donner un sens à ma vie, je dois faire mieux, je dois être mieux. Je dois avoir une vie que ça fasse du sens pour moi et aux yeux du monde. Je dois me souvenir, cher journal, de noter quelque part : « Si t’as été une merde jusqu’à aujourd’hui, rien ne t’empêchera de faire encore pire. C’est à toi de te remonter la culotte et la dignité. » (Herbert Spinoza). Je dois purifier mon corps et mon esprit, nettoyer et reprogrammer mes configurations neuronales et me remettre début, plus fort qu’avant et plus déterminé qu’avant : ça suffit, ça suffit et ça suffit ! Ça suffit Faust ! Ça suffit Frau Enricketa Kurtzweiler von Würstelmainz ! Ça suffit la guerre de pipi ! Ça suffit l’Haute-Savois Soviétique et mon passé ! Ça Suffit Milena, oui, je l’ai dit, Milena ! Ça suffit avec cette merde !


Les blessures étant partout, comme un automate j’ai pris la dame-jeanne de quinze litres de désinfectant ultra que j’avais acheté au tout début de la pandémie, quand le monde semblait couler et nous ne restait rien d’autre à faire que se lancer du bateau dans une mer de désinfectant traversé par des vagues de moralismes, et que j’avais mixé avec de l’eau de javel concentrée et additionnée de piment sauvage des montagnes de Calabre que je gardais pour des occasions spéciales depuis le 1982. Je me suis mis nu et début dans le baignoire. J’ai respiré profondément. Et je l’ai vidée sur moi et sur mes nombreuses blessures.

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Comme un coup de foudre. Comme un teaser dans les couilles. Comme une baignade à moins 40. Comme une explosion d’une bombe anarchiste du 19015 dans les fesses. L’image du Bouddha dans la carte postale attachée à la paroi en face de la baignoire qui prenait vie et m’indiquait le chemin lumineux. Une chœur d’enfants dans mes oreilles qui faisaient larmermes yeux. Le bleu et puis le rouge et puis le vert et puis l’or, l’or et encore l’or. Et puis rien.


Je suis revenu à moi-même pendant que mon corps, ou ce que devait être mon corps (ne faire pas cas à ça, cher journal, le nouvel homme que je suis parlera souvent comme ça par la suite), se roulait dans le baignoire par la douleur purificatrice et avec mes dernières énergie j’ai ouvert l’eau froide. Ça doit faire ça le changement, cher journal. Le baignoire a commencé à se remplir. L’eau devenait de plus en plus froide aurait dit le corps qu’il me semblait d’être, mais moi désormais j’avais abdiqué à mes terminaisons nerveuses. Je suis resté une bonne demi-heure dans l’eau froide avec le vide neuronal absolu. Quand les dents commençaient à danser le tip-tap dans la bouche j’ai décidé de lever ce corps, tirer le bouchon du baignoire, et jeter du nettoyant par ci par là pour nettoyer de ma souillure de la céramique.

Un nouvel homme me parait s’être installé chez moi. Je parle de moi-même cher journal, je ne te cache pas des surprises. Le moi que je suis, aime encore les femmes, pour ce qui me semble de comprendre, même si ça pourrait bien se donner que le corps que je suis puisse aimer aussi l’amour des hommes et devenir sensuels ensemble – c’est toujours simplement de l’amour. Mes yeux regardaient le monde de manière différente. Je me suis frotté fort sur la peau de mon corps avec une linge marque Aloha naturellement parfumé à la noix de coco, pour enlever ce qui restait de la terre et de la courge. J’ai mi des pansements sur les blessures du corps, de la pomate cicatrisante un peu partout sur les fesses et puis je me suis habillé avec des vêtements très commode et délicats sur la peau. Finalement, je pouvais utiliser tous les pyjamas en soie que j’avais acheté leur de mes nombreux voyages dans le quartier japonais, où j’avais fait razzia sur tout le sperme de baleine sur lequel j’arrivais à mettre la main pour m’aider avec mes prestations sensuelles sous-couvert durant ma vie précédente et j’étais convaincu qu’il n’y a rien de mieux d’un pyjama de soie avec le sperme de baleine. Je suis passé à la cuisine où je me suis préparé quelque chose de léger comme léger était mon cœur, ou bien trois canards confis au liqueur alpestre de Norvège avec un accompagnement de chou-fleur enragé au piment coréen. Je ne peux pas dire que je n’étais pas satisfait. Même si les fesses me brulaient encore et c’était un peu désagréable de rester assis, désormais le concept de d’insatisfaction ne correspondait plus à mon karma. Mais puis je me suis dit que quand-même changer sa propre vie et le faire une seule fois à jamais, et le faire comme il faut le faire demandera de l’énergie mentale et le mentale a besoin de se nourrir et si changer se passe par le corps et par le mental alors c’est mieux de se nourrir. Et alors j’ai décidé de mettre main à mes réserves et je me suis préparé un poulpe royal timide de l’Alabama fourré de patrouilles d’abeilles mellifères aveugles accompagné d’un café de caca de cheval turque. Là je pouvais dire que finalement j’étais prêt à commencer, à commencer à nouveau, à se donner au monde. J’ai allumé la radio et le journal annonçait deux autres mois supplémentaires de confinement.


Ce n’est pas grave, mon cher journal, le nouvel homme que je suis va utiliser ce temps de solitude et méditation pour devenir meilleur, pour explorer ses nouveaux horizons, les cicatrices sur sa peau et sur son cœur renouvelé, son regard clair à travers le vitre de la fenêtre vers la lumière.


Acheter PQ avant que les supermarchés soient vidés par les peureux, slips renforcés sur les fesses, courge, poulpe beaucoup de poulpe.

Se souvenir de sortir toujours avec des croquettes empoissonnées pour chien allemand.

Ne croire plus à la lutte pour la lutte.

Sortir plus souvent (tout en respectant les règles du confinement).

Oublier définitivement Milena.

Se faire une ou plusieurs nouvelles copines – mettre en discussion la monogamie et le patriarcat.

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